jeudi 18 novembre 2010

Chine: Incendie à Shanghai

Témoin de l’incendie d’une tour d’habitation qui a fait 53 morts le 15 novembre, le blogueur Han Han raconte et pose les questions d’un badaud connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche.
Les pompiers éteignent l'incendie qui ravage une tour d'habitation à Shanghai, 15 novembre 2010.

Cet après-midi-là, j'étais en pleine séance de prise de vues dans le gymnase des ouvriers du quartier de Jing'an (à Shanghai) quand j'ai aperçu soudain de la fumée sortir d'un bâtiment deux cents mètres plus loin. En voyant tous les échafaudages qui entouraient l'immeuble, je me suis dit : ce n'est rien, c'est un feu sur un chantier...
Quelques minutes plus tard, des débris en feu ont commencé à voler dans les airs, attestant de la violence de l'incendie. Peu après, les premières flammes ont fait leur apparition sur le toit du bâtiment. Nous avons laissé notre travail en plan pour nous joindre à la foule des badauds, à cinquante mètres du sinistre. C'est alors que j'ai découvert qu'il ne s'agissait pas d'un chantier, mais bel et bien d'un immeuble d'habitation dont la façade était en travaux. Au début, on pensait que seuls quelques appartements seraient touchés ; personne n'imaginait que toute la tour allait être la proie des flammes.
Les premiers habitants extirpés du brasier étaient envoyés vers les hôpitaux, mais les camions de pompiers, bien que venus en grand nombre, se révélaient impuissants face à l'ampleur du sinistre : au sommet de la grande tour ou accrochées aux échafaudages, des personnes attendaient d'être secourues. Les pompiers sont parvenus à venir en aide à certaines d'entre elles, mais qui sait ce que sont devenus les résidents réfugiés sur le toit, les médias n'ont rien dit à ce sujet. Alors qu'au début les journalistes relataient l'incendie dans toute son horreur, à mesure que les flammes s'étendaient aux étages supérieurs le sommet de l'Etat se mettait en branle ; la presse se convertissait en instrument d'"harmonisation" au service de la propagande.
Je suis resté sur place de 14 heures à 17 heures, traversé par de nombreux sentiments face à cet incendie, le plus grave qu'ait connu Shanghai au cours de ces dix dernières années. Tout d'abord, notons que les secours et les forces de l'ordre sont arrivés sur les lieux relativement vite (certes, pas assez) et en nombre suffisant. Même la police criminelle était sur place dès la première heure, non pour enquêter sur les causes du sinistre, mais pour assurer le maintien de l'ordre, dressant un cordon de sécurité en un peu plus d'une demi-heure. Les pompiers s'empressaient également pour circonscrire l'incendie, mais ils étaient relativement impuissants face à ce feu qui ravageait un immeuble d'une telle hauteur. Il a fallu une à deux heures pour que la plupart des échelles soient mises en place et que les hélicoptères interviennent. Il était 14 h 14 quand j'ai aperçu une épaisse fumée s'échapper du bâtiment ; à 15 h 54, les hélicoptères de la police ont commencé, au mépris du danger, à tournoyer au-dessus de la tour pour tenter de sauver des personnes réfugiées sur le toit, mais en raison de l'épaisse fumée s'élevant du bâtiment les opérations d'hélitreuillage furent un échec.
C'est à 14 h 38 que l'ensemble du bâtiment s'est embrasé, une grande partie des échafaudages des façades sud et ouest étant en feu. Vers 15 h 20, des résidents étaient encore secourus par les pompiers, mais ceux-ci ne pouvaient rien faire face aux flammes. Dans ce genre de tour, les incendies ne touchent en général que quelques appartements, sur un ou deux étages seulement ; il est très rare que l'ensemble de l'immeuble soit en flammes. Je ne suis pas un spécialiste, mais il me semble évident que les échafaudages sont la principale cause du sinistre. Ils ont transformé le bâtiment en torche, à tel point que les pompiers n'ont pu pénétrer à l'intérieur que dans la soirée.
Je ne veux pas me répandre en louanges ici, car aux infos du soir tout le monde a certainement vu les images du sinistre maîtrisé, des secouristes traités en héros, des familles rassérénées, des hauts dirigeants venus en personne consoler les victimes, des habitants laissant échapper des larmes de soulagement. Je repense simplement à ces lances à incendie dont la portée ne dépassait pas le cinquième ou sixième étage d'une tour qui, avec ses vingt-sept étages, était somme toute assez banale dans la forêt des gratte-ciel de notre grande ville. De là où j'étais, je n'ai pu apercevoir qu'une grande échelle capable d'atteindre le dix-neuvième étage, les autres ne dépassant pas le niveau du dixième étage ; et les opérations de secours par hélicoptère ont été infructueuses. Certes, cet incendie sortait de l'ordinaire, mais force est de reconnaître que les moyens mis en œuvre pour le circonscrire étaient insuffisants, même si Shanghai a fait le maximum dans ce domaine.

Lire la suite sur Courrier International  Photo AFP

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